Chers frères et sœurs,

Nous lisions ce matin l’Evangile selon Saint Marc. Jésus, ensemble avec ses disciples, est en chemin vers Jérusalem. Cela doit faire trois ans que les disciples accompagnent le Christ dans son ministère. Pendant ces trois années ils ont assisté à de nombreux miracles, ils ont été enseignés par le Christ lui-même, ils l’ont interrogé, ils l’ont vu agir. Pendant ces trois années ils ont été en présence du Dieu fait homme, comme nul autre avant eux, comme nul autre après eux. Ils ont été des témoins privilégiés de l’Evangile vivante. En route vers Jérusalem, notre Seigneur Jésus Christ explique une nouvelle fois à ses disciples ce qu’il va advenir dans les jours prochains. Il fait cela avec des mots à peine voilés, en réalité il en parle de façon très explicite.

« Voici, nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux principaux sacrificateurs et aux scribes. Ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux païens, qui se moqueront de lui, cracheront sur lui, le battront de verges, et le feront mourir ; et, trois jours après, il ressuscitera. ». 

Certainement les disciples ont pressenti des évènements terribles. Mais la suite de l’Evangile de ce jour nous montre comment les disciples de Jésus n’ont pas encore pleinement assimilé le message évangélique à l’époque de cette montée vers Jérusalem, comment ils ne peuvent pas encore saisir ces enseignements dans toute leur profondeur. La Parole de Dieu, pourtant si explicite à propos de sa Passion leurs est incompréhensible et inconcevable.

Les fils de Zébédée, Jacques et Jean, s’approchèrent de Jésus, et lui dirent : « Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons. » Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » « Accorde-nous, lui dirent-ils, d’être assis l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, quand tu seras dans ta gloire. »

Alors que Jésus vient d’annoncer sa Passion et sa Résurrection, deux de ses disciples demandent aux Christ de recevoir les places d’honneur. Alors que Jésus vient d’annoncer sa Passion et sa Résurrection, ils s’inquiètent de leur gloire personnelle. Ceci malgré les nombreux enseignements concernant la nécessité de l’humilité, la nécessité de se faire le plus petit d’entre tous.

Jésus leur répondit : « Vous ne savez ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je dois boire, ou être baptisés du baptême dont je dois être baptisé ? »

Le Christ reprend les deux disciples avec patience et douceur. Car Il voit bien en ses disciples de belles âmes, de grands cœurs, deux hommes qui veulent surtout rester proche de Lui. Peut-être que les paroles de Jésus à propos de « la coupe » et du « baptême » étaient énigmatiques pour les deux apôtres, mais rempli de zèle ils répondent, nous pouvons l’imaginer avec enthousiasme : « nous le pouvons ».

Quel enseignement pouvons-nous donc tirer de ce passage de l’Evangile ? Comment comprendre cet épisode étonnant ?

En nous regardant nous-même nous pouvons comprendre la demande de deux disciples, demande formulée après l’annonce de la Passion et Résurrection. Nous sommes nous aussi en chemin vers Jérusalem, vers la Jérusalem céleste. C’est la destination auquel nous aspirons. Nous espérons recevoir une place auprès du Trône céleste. Nous le demandons dans nos prières.  Malgré la Révélation, malgré le don de l’Esprit Saint, malgré le don de l’Eglise, malgré une Tradition de deux millénaires, malgré les nombreux saints qui ont fleuri et fleurissent l’Eglise, malgré tout cela, nous sommes aussi, nous-même, si souvent, ou même continuellement, dans un état d’esprit semblable à celui des apôtres avant la Passion. Nous souhaitons accéder au Royaume Céleste, oui, mais nous sommes surtout préoccupés par nos propres besoins et ambitions. Les disciples n’ont pendant la montée vers Jérusalem pas encore la connaissance de ce qui allait suivre. Nous, oui, nous l’avons.

Pendant le carême l’Eglise attire avec une pédagogie particulière notre attention, à travers les différents offices et lectures, sur les éléments constitutifs de la vie en Christ, d’un retour vers Dieu. Le désir de Dieu de Zachée, l’humilité du publicain, le sentiment d’exil du Fils Prodigue, l’amour personnel de la parabole du Jugement Dernier, l’importance du pardon, la puissance de la foi. Quel est notre état d’esprit maintenant que nous sommes bientôt au terme de cette quarantaine ? En quel mesure avons-nous un peu plus intégré les enseignements reçus ? Avons-nous progressé dans notre prise de conscience de la signification de la Paques ? Discernons-nous les signes que Dieu nous accorde ?

Quelle clé donc pour progresser dans le chemin de la foi ? Par la vie de sainte Marie l’Egyptienne, l’Eglise nous donne un double exemple de progrès dans la foi, deux exemples plus ou moins à l’opposé l’un de l’autre. Nous y lisons la vie de deux saints, saint Zosime et sainte Marie l’Egyptienne.

Saint Zosime était moine depuis son jeûne âge, dans un monastère de Palestine. Le récit raconte que sa vie spirituelle était de grande renommée, et que de nombreuses personnes vinrent le trouver pour puiser à son enseignement. Il y est dit que saint Zosime était favorisé de visions divines. Mais voici que, pourtant depuis longtemps à l’étude et à la contemplation de la parole divine, Zosime est pris d’un sentiment d’orgueil. Je cite : « Il fut ensuite tourmenté par l’idée de sa perfection en tout et pensa qu’il n’avait nul besoin de l’enseignement de qui que ce soit. Il commença à raisonner ainsi : « Y a-t-il au monde un moine susceptible de m’être utile et de m’apprendre quelque chose de nouveau, un exercice ascétique que je ne connaisse pas et que je n’aie déjà accompli ? Se trouvera-t-il parmi les sages du désert un homme qui me soit supérieur par sa vie et ses méditations ? » ». Fin de citation. Le prêtre Zosime reçoit alors une mise en garde, une occasion de se re-saisir :  On l’enjoint à aller dans un monastère près du Jourdain pour comprendre que nul parmi les hommes n’a atteint la perfection et que la tâche qui attend l’homme est plus grande que celle qu’il a déjà accomplie. Par ses rencontres de sainte Marie l’Egyptienne, chaque fois précédé d’un moment de désarroi, découragement, d’abandon, sainte Zosime va se rendre compte de ses propres faiblesses et éprouver un repentir profond et sincère.

La vie de Sainte Marie l’Egyptienne connaît un déroulement à l’opposée. Après son baptême, après son enfance, elle a renié l’amour de ses parents et a quitté sa région natale pour Alexandrie. Elle renie non seulement ses parents, mais aussi Dieu. Elle emploi de sa liberté pour mener une vie de débauche, de plaisir, de vices, une vie axée sur sa propre autonomie. Une vie loin de Dieu, loin de l’Eglise, loin de quelques enseignements concernant la parole divine. Un jour, après des années d’égarement, elle suit des pèlerins vers Jérusalem. Le jour de l’Exaltation de la Sainte Croix elle se trouve devant les portes d’une église. Est-ce par curiosité ou est-ce par désir de Dieu, mais elle ressent l’envie d’accompagner les pèlerins à l’intérieur de l’église. Une force invisible l’empêche de rentrer. Après avoir essayé à plusieurs reprises d’entrer dans l’église, prise de désespoir, voyant l’icône de la Mère de Dieu, elle comprend la réalité de sa vie pécheresse et elle implore la Mère de Dieu pour le pardon de ses péchées. Elle fait vœu de se détourner de sa mauvaise vie et de mener une vie chaste si la Mère de Dieu lui donne accès au temple. Ce repentir, ce sentiment d’éloignement de Dieu est si sincère, si profond, qu’elle peut ensuite franchir le portail de l’église. Sainte Marie l’Egyptienne va se montrer à la hauteur du signe qu’elle a reçu ! Le changement est radical. Malgré une vie de débauche, loin de Dieu, le Seigneur a reconnu un grand cœur, une grande volonté, une âme pure, certes enfoui par de nombreux péchés. Il a invité Marie l’Egyptienne à la conversion par un signe fort. Un signe fort car à la hauteur des capacités de Marie l’Egyptienne.

Nous voyons à travers la vie de saint Zosime, de sainte Marie l’Egyptienne et la vie des apôtres que la présence de notre Seigneur ne suffit pas pour avancer dans la foi. Il faut que nous-même nous nous tournions vers Dieu, avec espoir, avec la certitude qu’Il nous viendra en aide, dans un sentiment de repentir. Pour citer le métropolite Antoine de Sourozy « Le repentir c’est ce tournant de la vie, ce tournant de pensées, cette transformation de cœur, qui nous mettent face à face avec Dieu pleins d’espoir tremblant et joyeux, dans la certitude de savoir que nous ne méritons pas la miséricorde divine, mais que le Seigneur est venu sur terre non pour juger mais pour sauver, qu’il est venu sur terre non pour les justes mais pour les pécheurs. ». « Ainsi le repentir est mis en branle lorsque soudain notre âme reçoit un choc, que notre conscience nous parle, que Dieu nous interpelle avec ces mots : « Où vas-tu ? vers la mort ? Est-cela que tu veux ? », et que nous nous tournons vers lui, le Christ nous dit : « Je te pardonne, et toi, en reconnaissance pour un tel amour, et parce qu’en répondant à mon amour tu as la capacité d’aimer, commence à changer ta vie… ». On le voit dans la vie de saint Zosime qui, croyant être un juste, progresse réellement par le repentir qui suit un moment de faiblesse. On le voit aussi dans la vie de sainte Marie l’Egyptienne, qui, après son baptême, part vivre de façon autonome, loin de ses parents, loin de Dieu. C’est dans un moment d’adversité qu’elle ressent toute la faiblesse et vanité de sa vie et se retourne toute repentante vers Dieu. Il en est de même pour les apôtres. La différence dans l’état d’esprit des disciples avant et après la passion est certainement aussi le sentiment d’abandon de Dieu, un sentiment fort de sa propre faiblesse personnelle. Ce sentiment est, comme nous l’enseigne les pères de l’Eglise, la base du repentir. Les disciples ont vécu trois ans dans une présence intense du Christ. Ils vivaient dans un état de grâce, sans, probablement, en être réellement conscient. C’est seulement à l’heure de la Passion que les apôtres vont vivre ce sentiment d’abandon de Dieu de façon très violente, très forte, dans leur chair et âme. Voilà leur maître dans lequel ils avaient mis tant d’espoir cloué sur la croix, mort, enseveli. Ils se sentent abandonnés, pourchassé, ils sont désespérés, et ils se rassemblent pour prier le Seigneur du fond de leur cœur.

Mettons donc en profit ce temps de jeûne comme un appel de l’Eglise à s’orienter de tout notre cœur vers notre Seigneur. Mettons à profit nos moments de faiblesse pour se tourner vers notre Dieu. C’est ainsi que nous gagnerons en compréhension du message évangélique, c’est ainsi que nous progresserons sur le chemin vers la Jérusalem céleste.

Amen

+p Laurent

10/04/2022