Homélie pour le 30 anniversaire de la Paroisse des Saints Silouane l’Athonite et Martin à Bruxelles

Évangile : Luc 8, 5-15 — La parabole du semeur

Chers frères et sœurs en Christ,

Aujourd’hui, en cette belle liturgie d’action de grâce, nous célébrons trois choses en une: la Parole du Christ qui, dans l’évangile, se fait semence; la lumière de saint Silouane, témoin du Christ pour notre temps; et les trente ans de cette paroisse, humble semence plantée au cœur de Bruxelles, devenue aujourd’hui un arbre vivant qui porte du fruit.


Le Seigneur nous parle aujourd’hui de la semence de la Parole. «Le semeur sortit pour semer.» Il sème partout: sur le chemin, sur la pierre, parmi les ronces, et dans la bonne terre. Dieu ne calcule pas. Il ne choisit pas les terres les plus fertiles: Il sème partout, parce que son amour ne connaît pas de frontières. Mais la Parole ne porte du fruit que si le cœur de l’homme devient terre d’accueil. Et c’est là, frères et sœurs, que commence la vraie vie spirituelle: dans cette conversion du cœur, dans ce passage du sol sec et dur à la terre labourée par l’humilité.

Saint Silouane a vécu cette parabole dans sa chair. Il a connu la pluie de la grâce, puis la sécheresse, et enfin la fécondité retrouvée. Il disait: «Avant que la grâce ne me touche, je pensais que tout allait bien. Quand la grâce m’a visité, j’ai vu combien j’étais pécheur.» Ainsi, Dieu nous conduit: Il nous donne sa lumière, puis Il nous la retire pour que nous apprenions à l’aimer et non à la posséder.

Cette alternance, qu’on appelle don, perte et recouvrement de la grâce, est comme les saisons d’un champ: printemps de la ferveur, été de la lutte, automne du repentir, hiver du silence. Mais le Semeur, Lui, ne cesse jamais de passer.

C’est au cœur de cette lutte que le Christ a parlé à Saint Silouane: «Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas.» Cette parole, frères et sœurs, résume tout l’Évangile. Elle dit le mystère de la Croix et de la Résurrection. Elle dit que l’espérance chrétienne ne se fonde pas sur les circonstances favorables, mais sur la présence de Dieu dans nos enfers.

«Tiens ton esprit en enfer» — c’est-à-dire: ne fuis pas ta misère, ne la nie pas. Regarde-la en face, sans peur. Reconnais ta pauvreté, ton orgueil, ton désespoir même.
Mais aussitôt: «Ne désespère pas!» Car le Christ est descendu plus bas encore. Là où l’homme se sent perdu, Lui, Il est présent, lumineux, doux, silencieux.

Saint Silouane a appris que l’humilité est la porte de la paix. Quand il tenait son esprit en enfer — non pas dans le désespoir, mais dans le repentir —, il sentait la miséricorde de Dieu brûler son cœur. Et de cette descente naissait une compassion infinie pour le monde.
C’est pourquoi il priait ainsi: «Seigneur miséricordieux, fais que tous les peuples de la terre Te connaissent par le Saint-Esprit.» Voilà la vraie moisson: le cœur dilaté par l’amour du Christ, qui porte le monde entier dans la prière.

Frères et sœurs, si nous célébrons aujourd’hui trente ans de vie paroissiale, c’est parce qu’ici aussi, une semence est tombée dans une terre préparée par la Providence. Cette paroisse est née d’un petit groupe de fidèles, de prêtres, d’amis, qui ont voulu faire rayonner la lumière de l’Orthodoxie dans une ville cosmopolite et souvent dispersée. Et aujourd’hui, nous voyons combien cette semence a porté du fruit: dans la beauté de la liturgie, dans la fraternité des rencontres, dans l’accueil des nouveaux venus, dans la foi transmise aux jeunes.

Trente ans, c’est un âge de maturité spirituelle. Mais c’est aussi un nouvel appel. Le Christ ne nous dit pas: «Reposez-vous, la moisson est finie.» Il nous dit: «Sortez à nouveau pour semer!»

Et les terrains sont nombreux: les rues de Bruxelles, les universités, les quartiers où tant de jeunes cherchent un sens, une présence, une espérance. Beaucoup sont comme ces terrains pierreux ou envahis d’épines dont parle l’Évangile: leurs cœurs sont saturés de bruit, d’images, d’inquiétudes, et pourtant ils ont soif de silence et de vérité.

À nous d’être des témoins paisibles, humbles, priants, comme saint Silouane. Non pas des moralistes, mais des porteurs de lumière. Non pas des juges, mais des compagnons de route. Non pas des bâtisseurs de structures, mais des laboureurs de cœurs.

Le monde d’aujourd’hui a peur du silence, peur de la souffrance, peur de la profondeur. Saint Silouane, lui, nous apprend la paix dans la patience. Il nous enseigne que le Christ ne s’impose jamais, mais qu’Il sème. Et Il attend que la terre s’ouvre.

Saint Silouane est un saint universel: il parle à tous les peuples, à toutes les Églises, à tous les chercheurs de Dieu. Il est l’icône du chrétien du XXIᵉ siècle: enraciné dans la tradition, mais ouvert au monde ; ancré dans la prière, mais solidaire de tous. Son message est d’une actualité brûlante pour nous, orthodoxes d’Occident: “On ne peut aimer Dieu sans aimer le monde pour lequel Il s’est fait chair.”

Ainsi, la paroisse des Saints Silouane et Martin n’est pas un refuge fermé, mais une fenêtre ouverte: un lieu où l’on apprend à aimer, à prier, à se relever, à vivre.

Frères et sœurs, aujourd’hui, rendons grâce pour ces trente années: pour ceux qui ont semé avant nous — prêtres, fondateurs, familles, catéchètes, enfants devenus adultes; pour ceux qui ont arrosé — les serviteurs discrets, les choristes, les artisans de paix; et pour Celui qui a donné la croissance — le Christ Lui-même, notre Semeur et notre Moisson.

Et tournons-nous vers l’avenir avec espérance: que notre paroisse devienne toujours plus terre de bonne qualité, où la Parole de Dieu puisse porter du fruit — non pas trente, ni soixante, mais cent pour un.

Que saint Silouane, avec saint Martin, intercède pour nous: qu’il nous apprenne à tenir notre esprit en enfer sans désespérer, à aimer nos ennemis, à porter le monde dans la prière, et à accueillir chacun comme un frère.

Ainsi, notre paroisse continuera d’être, au cœur de Bruxelles, une lumière douce, une présence de paix, un signe du Royaume qui vient.

À Dieu soient la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.