Voici une des versions de ce récit, dit souvent celui du ‘jeune homme riche’ qui se retrouve dans tous les 3 évangiles synoptiques. Cette version-ci, prise dans l’évangile de Luc, est la plus courte, on dirait même le plus frustre. 

Ici, le personnage principal c’est ‘un homme’, ‘un chef’, le mot grec ‘archon’ suggère une position d’autorité, ce qui va ensemble avec sa richesse, mais pas mention de son âge. Il aurait pu avoir cinquante ans ou même plus. Manque aussi la très belle phrase ‘Jésus l’aima’ qu’on trouve chez Marc.

Mais peu importe, la structure essentielle reste. Voici un homme qui a passé toute sa vie dans les règles, a fait tout ce que demandait –on suppose–, son statut social, dans sa famille, dans ses affaires, dans sa vie religieuse. Pas mention d’orgueil, de malmener les gens, pas plus pécheur que les autres ….. Un homme bien en ordre. Mais qui sent, à l’approche de Jésus, que Dieu et la vie demandent plus de lui. Cette ‘vie éternelle’ dont Jésus parle, l’interpelle, l’appelle.

Ce qu’on peut dire – et c’est j’avoue, une interprétation moins courante -, c’est que ce bonhomme est arrivé à la fin d’une étape dans sa vie religieuse. Ce qui n’est pas exceptionnel : on a été bon chrétien, bon orthodoxe, on a suivi les règles, on a assisté régulièrement à la liturgie, on s’est confessé de temps à autre, on a tenu aussi bien que possible les règles de carême. Et puis, après un certain temps, un an, cinq ans, dix ans, tout cela devient fade, on tourne en rond. On se cravache, devient encore plus régulière à la liturgie, se confesse plus, mais cela ne marche pas.

Simplement, on est arrivé à la fin d’une première étape dans sa vie chrétienne, et le Christ a décidé qu’il est temps d’aller plus loin. De le suivre de beaucoup plus près, de commencer sérieusement le chemin vers la divinisation.

Typique pour ce passage est le lâcher prise, laisser au Christ prendre contrôle de sa vie d’une manière plus marquée. On lâche certaines attitudes de supériorité parce qu’on fait bien la religion. On lâche son armure, au moins devant le Christ, pour être prêt à ce qu’il mette le doigt sur nos failles, nos faux-fuyants, nos ‘fautes secrètes’ comme dit un des psaumes.

Je pense que beaucoup d’entre nous ont été, ou serons appelés un jour, de faire un tel pas. Peut-être pas si radicalement en vidant notre compte en banque pour les pauvres, peut-être pas tout à la fois. Assez souvent cela prend la forme d’un appel à changer de travail vers une profession à plus haute risque ou qui paie moins bien : devenir infirmier, instituteur, artiste, sculpteur, même prêtre.

C’est une fois qu’on a fait ce pas que commence autre manière d’être avec Dieu. On se laisse prendre par le Christ, une affaire d’amour discrète commence. A cette étape surtout l’attitude envers les règles change: si on les respecte et y tient, ce n’est pas pour être ‘dans les règles’ (ou de la société ou de l’église), ou par peur de jugement, mais parce que ces règles nous aident vraiment à nous approcher du Christ, à en être fini avec des attachements qui mettent en danger notre liberté, ne serait-ce que de pas boire d’alcool pendant une deux, semaines, pour se dire ‘Je peux vivre sans’. Même chose avec une certaine continence sexuelle. On devient, je dirais, à la fois plus stricte et plus souple. Le tout c’est de garder cette intimité avec le Christ, qui nous devient si vital que nous ne voulons pas le lâcher.  

Pour finir, deux versets bibliques : le premier pris dans l’épître de Saint Paul aux Philippiens (3.8) ‘A cause de lui (c-à-d Jésus), j’ai accepté de tout perdre, et je considère tout comme des ordures, afin, de gagner Christ.’ La deuxième vient de la lettre aux Hébreux (12.1) ‘rejetons tout fardeau et le péché qui nous enveloppe si facilement, courons avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte  ….. les yeux fixés sur Jésus … ‘. Courons surtout légers, mes frères et soeurs.

Commentaire du père Michael – 27 Novembre 2022 – 13ème Dimanche de Luc (Luc 18 : 18-27)