Catéchèse.

Après avoir consacré une première homélie à l’épitre aux Ephésiens, je vous propose aujourd’hui un petit commentaire sur l’épître aux Hébreux. Nous prenons pour guide saint Jean Chrysostome. Ainsi, je le laisse introduire notre propos :

« Un grand sujet d’orgueil pour les juifs, c’était leur temple et leur tabernacle. « Le temple du Seigneur », répétaient-ils, « le temple du Seigneur ». (Jérém. VII, 5.) Et, en effet, jamais au monde ne fut construit temple pareil, au point de vue de la dépense et de la beauté ; sous tout rapport, enfin. Dieu qui l’avait fait bâtir, avait voulu qu’on le construisit avec beaucoup de magnificence, parce que son peuple se laissait éprendre et attirer par les splendeurs matérielles. Les parois intérieures étaient donc revêtues de lames d’or, et si vous voulez savoir d’autres détails, consultez le second livre des Rois ou le prophète Ezéchiel, vous verrez quelle énorme quantité d’or y fut dépensée. Le second temple fut encore plus magnifique en beauté et sous bien d’autres rapports. Il n’était pas seulement splendide et vénérable ; il était encore inique, et ses splendeurs attiraient à lui le monde entier. On s’y rendait des confins de la terre habitée, de Babylone comme de l’Éthiopie. Saint Luc fait allusion à ce concours dans les Actes : « Il y avait », dit-il, « à Jérusalem des Parthes, des Mèdes, des Elamites, de ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée et la Cappadoce, le Pont  et l’Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l’Égypte et la contrée de Lybie qui est autour de Cyrène ». — (Act. II, 5.) Ainsi de toute la terre, on s’y était rendu ; et le nom du temple était connu au loin. »[1]

Que va faire saint Paul dans l’épître aux Hébreux ? Il va nous montrer dans un bel exercice d’exégèse le grand changement que représente la Nouvelle Alliance par rapport à l’Ancienne Alliance.  Il va employer les types de l’Ancien Testament, pour exprimer la grande particularité du sacerdoce du Fils de Dieu. Non seulement le temple ancien, cité ci-haut, est radicalement changé, aussi le culte, les sacrifices, le grand prêtre sont transformés. En premier lieu, nous écrit saint Paul, parce que le Christ est notre seul et véritable grand prêtre.

Le rôle du grand prêtre est « d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés ». C’est un honneur qu’on ne s’attribue pas à soi-même, « on le reçoit par appel de Dieu, comme ce fut le cas pour Aaron. C’est ainsi que le Christ non plus ne s’est pas attribué à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de celui qui lui a dit : Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, conformément à cette autre parole : Tu es prêtre pour l’éternité dans la ligne de Melchisédech »[2]

C’est en le livre de la Genèse que nous trouvons la personne de Melchisédech. « Il était prêtre de Dieu, le Très-Haut, et il bénit Abram en disant : Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui crée ciel et terre ! Béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes adversaires entre tes mains ! Abram lui donna la dîme de tout ». [3]

Cette référence au grand prêtre Melchisédech n’est pas une nouveauté de la part de saint Paul, elle est déjà annoncée par avance dans le Psaume 110 au verset 4. Saint Paul voit dans cette référence une manière de nous instruire de la grande différence entre le sacerdoce du Fils de Dieu et celui des prêtres de l’Ancienne Alliance. Melchisédech est un type du Christ, et la référence permet d’expliciter la transformation de l’Ancien Testament vers le Nouveau Testament.

« C’est Melchisédech, roi de Salem, (…). »[4]

Saint Jean Chrysostome, en citant saint Paul, explique à propos du nom de Melchisédech : « C’est d’abord le nom de Melchisédech qui attire son attention (ndlr. L’attention de saint Paul). « Qui s’appelle, selon l’interprétation de son nom, premièrement Roi de Justice ». En effet, « Sédech » veut dire justice et « Melchi » ; roi ; d’où Melchisédech, roi de justice. Voyez-vous, jusque dans les noms, quel choix et quelle exactitude ? Or, quel est le roi de justice, sinon Notre-Seigneur Jésus-Christ ? — Puis : « Roi de Salem », nom de sa cité ; le sens est roi de paix, car telle est la traduction de Salem : encore un trait du Christ. Car c’est lui qui nous a fait justes et qui a pacifié tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre. Quel homme est vraiment roi de justice et de paix ? Aucun, à l’exception du seul Jésus-Christ Notre-Seigneur. »[5].

Melchisédech était roi de justice et de paix de par son nom et son royaume, notre Seigneur Jésus Christ est l’unique et véritable Roi de justice et de paix dans les faits.

Ensuite saint Paul prend la généalogie, ou plutôt l’absence de généalogie, pour continuer à montrer les similitudes et différences entre Melchisédech et le Christ, entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Saint Jean Chrysostome explique : « Il (ndlr. Saint Paul) ajoute bientôt une autre différence : « Sans père, sans mère, sans généalogie, qui n’a ni commencement, ni fin de sa vie, étant ainsi l’image du Fils de Dieu, qui demeure prêtre pour toujours ». Mais ici se présentait un texte qu’on pouvait objecter : « Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech », parce que celui-ci était mort, et n’était pas prêtre pour l’éternité. Voyez donc à quel point de vue élevé se place l’apôtre. On va lui objecter : Comment parler ainsi d’un homme ? Aussi, dit-il, je ne prends pas cette parole au pied de la lettre, mais voici ce que je veux dire : Nous ne savons quel père ni quelle mère eut ce prince ; nous ne le voyons ni naître, ni mourir. — Eh bien ! alors, que conclure, dira-t-on ? De ce que nous ne savons rien, s’ensuit-il qu’il ne soit pas mort, qu’il n’ait pas eu de parents ? — Non, vous avez raison d’affirmer qu’il est mort, qu’il a eu des parents. — Comment donc est-il sans père ni mère ? Comment n’a-t-il ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie ? Comment ? En ce sens que l’Écriture n’en dit rien. — Et où va cette remarque ? — A dire que ce prince est sans père, parce qu’on ne donne pas sa généalogie, mais que Jésus-Christ possède ce privilège réellement et en toute vérité. »[6].

L’absence de généalogie chez Melchisédech, absence car nous ne la connaissons pas, est ainsi le type de la naissance avant l’éternité du Christ. Saint Paul commence ainsi à développer la différence entre les prêtres de l’Ancienne Alliance et le Fils Unique.

Dans la citation ci-haut de la Genèse nous avons lu que Melchisédech bénit Abraham, et qu’Abraham donna la dîme à Melchisédech. Saint Jean Chrysostome nous dit à ce sujet : « Car dans cette épître (ndlr. Épître aux Romains), il se contente de déclarer qu’Abraham est le chef et le premier père de notre religion, comme de celle des Juifs. Mais ici (ndlr. Épître aux Hébreux) il ose plus encore à l’égard de ce patriarche, il montre qu’un incirconcis l’emporte sur lui de beaucoup. Et quelle preuve en donne-t-il ? C’est que Lévi a donné la dîme. Abraham, dit-il, en a fait l’offrande. — Et que nous importe, à nous, diront les Juifs ? — Mais beaucoup, sans doute, car vous ne pouvez prétendre que les lévites soient au-dessus d’Abraham. « Or, celui qui n’a point de place dans leur généalogie (c’est-à-dire Melchisédech), prit la dîme  sur Abraham ». Et pour ne point passer légèrement sur ce fait, il ajoute : « Et il bénit celui qui avait reçu les promesses ». Ces promesses étaient incontestablement la gloire des Juifs : saint Paul montre qu’ils sont inférieurs à cet étranger, en honneur et en gloire, et cela au jugement de tout le monde. « Or ; il est incontestable que celui qui reçoit la bénédiction, est inférieur à celui qui la donne », c’est-à-dire, d’après l’estimation commune, ce qui est moindre est béni par ce qui est plus grand. Donc ce roi, figure de Jésus-Christ, est plus grand que le dépositaire même des promesses. »[7].

Saint Paul conclut ainsi que Melchisédech est plus grand que notre ancêtre Abraham, mais aussi plus grand que ceux issus de la généalogie d’Abraham, car « sans aucune contestation, c’est l’inférieur qui est béni par le supérieur ».[8] Issue d’Abraham est aussi la descendance de Lévi, la branche d’Israël dont sont issue les prêtres. Ainsi, en référant au Christ comme grand prêtre dans la ligne de Melchisédech, il est signifié que le sacerdoce du Fils Unique est supérieur au sacerdoce lévitique de l’Ancienne Alliance. Ainsi, avec le Christ, il y a rupture avec le sacerdoce lévitique, le précepte antérieur, celui de l’Ancien Testament.

Saint Paul explique la raison « en raison de sa déficience et de son manque d’utilité, car la loi n’a rien mené à l’accomplissement, et, d’autre part, l’introduction d’une espérance meilleure, par laquelle nous approchons de Dieu. ». Jésus est la garant d’une meilleure alliance, pour les raisons mentionnées ci-haut, mais aussi parce qu’Il « est prêtre pour l’éternité ». Contrairement aux prêtres de l’Ancienne Alliance il possède « un sacerdoce exclusif »[9]. « Et c’est pourquoi il est en mesure de sauver d’une manière définitive ceux qui, par lui, s’approchent de Dieu, puisqu’il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur. Et tel est bien le grand prêtre qui nous convenait, saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs, élevé au-dessus des cieux. Il n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses propres péchés, puis pour ceux du peuple. Cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même. Alors que la loi établit grands prêtres des hommes qui restent déficients, la parole du serment qui intervient après la loi établit un Fils qui, pour l’éternité, est arrivé au parfait accomplissement. ».[10]

Saint Paul poursuit à expliciter la grande différence entre le sacerdoce du Fils Unique de Dieu et le sacerdoce de l’Ancienne Alliance. Les prêtres de l’Ancienne Alliance rendent leur culte « à une copie, à une esquisse des réalités célestes »[11]. Le sanctuaire de l’Ancienne Alliance était un sanctuaire fait de main d’homme. Les offrandes et sacrifices étaient des rites humains, fondés sur des aliments, des boissons et des ablutions diverses. Les sacrifices étaient faits à répétition car incapables de restaurer l’homme.  Avec le Christ le temple n’appartient plus à cette création, le sang des boucs et des veaux sont remplacés par son propre sang, le sacrifice est offert une fois pour toutes ! « Jésus-Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, mais dans le ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu ». « Et il n’y est pas ainsi entré pour s’offrir lui-même souvent, comme le grand prêtre entre tous les ans dans le sanctuaire, en se couvrant d’un sang étranger ». Vous voyez comme les différences sont nombreuses. Une fois, lui ; l’autre, souvent ; l’un entre avec son propre sang, l’autre avec un sang étranger. Grandes différences. — Jésus est donc à la fois sacrifice, prêtre et victime. S’il n’était pas tout cela, s’il devait offrir plusieurs sacrifices, il faudrait qu’il fût plusieurs fois crucifié : « Autrement »  , dit-il, « il aurait fallu qu’il eût souffert plus d’une fois depuis la création du monde ».

C’est par la foi en le Verbe de Dieu que nous pouvons lever le voile qui nous sépare du Saint des Saints et accéder aux Royaume des Cieux. Par l’épître aux Hébreux et dans sa présentation sacerdotale du mystère du Christ, saint Paul nous invite à prendre conscience du sens profond de l’Incarnation du Fils de Dieu, de sa Passion et de sa Résurrection. On ne peut pas, face au parfait sacerdoce du Christ, rester attaché à une approche étroite de la foi, une approche par exemple limitée aux aspects de culte. Nous devons intégrer au plus profond de nous et dans l’intégralité de notre vie la foi en Dieu. Amen.

21 octobre 2023

p. Laurent


[1] Saint Jean Chrysostome, homélie 17 sur l’épître aux Hébreux (https://www.bibliotheque-monastique.ch)

[2] He 5, 1-6 Tout grand prêtre, en effet, pris d’entre les hommes est établi en faveur des hommes pour leurs rapports avec Dieu. Son rôle est d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est capable d’avoir de la compréhension pour ceux qui ne savent pas et s’égarent, car il est, lui aussi, atteint de tous côtés par la faiblesse et, à cause d’elle, il doit offrir, pour lui-même aussi bien que pour le peuple, des sacrifices pour les péchés.  On ne s’attribue pas à soi-même cet honneur, on le reçoit par appel de Dieu, comme ce fut le cas pour Aaron. C’est ainsi que le Christ non plus ne s’est pas attribué à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de celui qui lui a dit : Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, conformément à cette autre parole : Tu es prêtre pour l’éternité dans la ligne de Melchisédech.

[3] Gn 14,17-20

[4] He 7, 1-10 Ce Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Dieu Très-Haut, est allé à la rencontre d’Abraham, lorsque celui-ci revenait du combat contre les rois, et l’a béniC’est à lui qu’Abraham remit la dîme de tout. D’abord, il porte un nom qui se traduit « roi de justice », et ensuite, il est aussi roi de Salem, c’est-à-dire roi de paix. Lui qui n’a ni père, ni mère, ni généalogie, ni commencement pour ses jours, ni fin pour sa vie, mais qui est assimilé au Fils de Dieu reste prêtre à perpétuité. Contemplez la grandeur de ce personnage, à qui Abraham a donné en dîme la meilleure part du butin, lui, le patriarche. Or, ceux des fils de Lévi qui reçoivent le sacerdoce ont ordre, de par la loi, de prélever la dîme sur le peuple, c’est-à-dire sur leurs frères, qui sont pourtant des descendants d’Abraham. Mais lui, qui ne figure pas dans leurs généalogies, a soumis Abraham à la dîme et a béni le titulaire des promesses. Or sans aucune contestation, c’est l’inférieur qui est béni par le supérieur. Et ici, ceux qui perçoivent la dîme sont des hommes qui meurent, là c’est quelqu’un dont on atteste qu’il vit.  Et pour tout dire, en la personne d’Abraham, même Lévi, qui perçoit la dîme, a été soumis à la dîme. Car il était encore dans les reins de son ancêtre, lorsque eut lieu la rencontre avec Melchisédech.

[5] Saint Jean Chrysostome, homélie XII sur l’épître aux Hébreux (https://www.bibliotheque-monastique.ch)

[6] Saint Jean Chrysostome, homélie XII sur l’épître aux Hébreux (https://www.bibliotheque-monastique.ch)

[7] Saint Jean Chrysostome, homélie XII sur l’épître aux Hébreux (https://www.bibliotheque-monastique.ch)

[8] He 7, 1-10

[9] He 7, 18-24 De fait, on a là, d’une part, l’abrogation du précepte antérieur en raison de sa déficience et de son manque d’utilité, car la loi n’a rien mené à l’accomplissement, et, d’autre part, l’introduction d’une espérance meilleure, par laquelle nous approchons de Dieu. Et dans la mesure où cela ne s’est pas réalisé sans prestation de serment – car s’il n’y a pas eu prestation de serment pour le sacerdoce des autres, pour lui il y a eu le serment prononcé par celui qui a dit à son intention : Le Seigneur l’a juré et il ne reviendra pas sur cela : Tu es prêtre pour l’éternité –, dans cette mesure, c’est d’une meilleure alliance que Jésus est devenu le garant. De plus, les autres sont nombreux à être devenus prêtres, puisque la mort les empêchait de continuer ; mais lui, puisqu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce exclusif. 

[10] He 7, 25-28

[11] He 8, 5