Homélie de p. Laurent

Néanmoins, sachant que ce n’est pas par les œuvres de la loi que l’homme est justifié, mais par la foi en Jésus Christ, nous aussi nous avons cru en Jésus Christ, afin d’être justifiés par la foi en Christ et non par les œuvres de la loi, parce que nulle chair ne sera justifiée par les œuvres de la loi. (Ga2,16).

Je vous propose aujourd’hui une petite réflexion sur l’épître aux Galates. Dans cette épître l’apôtre Paul exprime son incompréhension face aux Galates, qui après avoir reçu de lui le véritable Évangile du Christ, Evangile que lui-même a reçue par une révélation de Jésus Christ[1], sont séduits par la pratique d’un « autre Évangile », selon lequel le salut de l’homme passe par l’observance rituelle de la loi de l’Ancien Testament, comme la pratique de la circoncision. « Vous qui d’abord avez commencé par l’Esprit, est-ce la chair maintenant qui vous mène à la perfection ? »[2].  Il reproche aux Galates d’abandonner la foi pour la pratique de la loi, ceci sous l’influence de convertis juifs judaïsant. Si l’affaire est grave, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de préférer telle ou telle manière de vivre. Il s’agit de savoir  par quel chemin on rencontre Dieu. Est-ce par l’effort tenace pour observer scrupuleusement une loi juive ou autre ? Est-ce l’homme qui fait son Salut ? Ou est-ce par l’accueil sans réserve, dans la foi du Christ, venu pour nous sauver ? Et alors c’est Dieu qui gratuitement sauve l’homme.

Il est utile de s’arrêter à cette épître car nous ne sommes pas à l’abri de la pratique d’un « autre Evangile », et ceci même souvent par négligence, par manque d’attention, par habitude même. Deux chemins opposés se dressent devant nous. D’une part on se laisse bercer dans une religiosité excessive, où petit à petit la foi est exclue, ou, dans la direction opposée, on réduit la foi à sa simple et seule affirmation, à une foi stérile. Dans le premier chemin, le fidèle se perd dans l’observance de rites et de tradition en omettant d’intégrer le contenu, l’objet de sa foi, en son cœur. Les rites, les traditions lui donne l’impression de mener une vie bien comme il faut. Dans le chemin opposé, la foi devient à l’extrême quelque chose qui se réduit à intellectuel, il n’y a plus de véritable manifestation de la foi en notre vie. L’un est l’autre chemin forment une altération de l’Evangile. Les œuvres sans la foi ne sont rien, et la foi sans les œuvres est morte. Ce sont les deux pôles de l’illusion humaine ; entre les deux se trouve la Voie royale de la liberté chrétienne.

Avant la venue de la foi, nous étions gardés en captivité sous la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. Ainsi donc, la loi a été notre surveillant, en attendant le Christ, afin que nous soyons justifiés par la foi. Mais, après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce surveillant. Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. Et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham ; selon la promesse, vous êtes héritiers. (Ga3, 23-29)

Dans l’Evangile selon saint Matthieu, le Christ nous dit à propos de la Loi « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. Car, en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé. »[3]. Il s’en suit le Sermon sur la montagne. Nous y entendons le Christ étendre la compréhension ‘limitée’ des commandements par le peuple élu à une compréhension qui englobe, incorpore les deux commandements essentiels : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est là le grand, le premier commandement. Un second est aussi important : Tu aimeras ton prochain comme toi-même »[4]. C’est seulement ainsi que la Loi trouve sa juste valeur. L’application de la Loi réduite à son aspect matériel, l’application de la Loi sans l’incorporation de ces deux commandements essentiels, comme il l’a été par une grande partie du peuple élu, rend l’observance de la loi vaine, inutile à notre salut. Et c’est en réalité seulement par la foi en le Dieu Trinitaire et la grâce de l’Esprit Saint que l’homme est capable d’intégrer cet amour de Dieu et de son prochain dans sa vie, qu’il est capable de transcender la loi. Sans la foi, « le sel perd sa saveur » et ne vaut plus rien, « on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes »[5]. Ainsi écrit Mgr Anthony de Sourozy, il est certain que l’Ecriture nous dit qu’agir contrairement à la Loi de Dieu, c’est pécher, mais la Loi de Dieu n’est pas une règle extérieure qui nous est imposée par un dieu tout-puissant et à laquelle nous devons nous soumettre. La Loi de Dieu est une expression, au-dehors de nous, de notre nature même et de notre vocation. Accomplir la Loi de Dieu, c’est devenir nous-mêmes ; ne pas l’accomplir c’est rester en deçà de ce que nous sommes.[6] Et le préalable pour retrouver notre pleine humanité, c’est notre foi en Jésus Christ.

Mais, tandis que nous cherchons à être justifié par Christ, si nous étions aussi nous-mêmes trouvés pécheurs, Christ serait-il un ministre du péché ? Loin de là ! Car, si je rebâtis les choses que j’ai détruites, je me constitue moi-même un transgresseur, car c’est par la loi que je suis mort à la loi, afin de vivre pour Dieu. J’ai été crucifié avec Christ ; et si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi ; si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi. (Ga2,17-20).

Pouvons-nous déclarer notre foi et pourtant faire n’importe quoi dans la vie ? Pouvons-nous dire aimer Dieu, et oublier la compassion pour notre frère ? Pouvons-nous dire « Je crois, mais Dieu est dans mon âme et ne concerne que moi » ? Pouvons-nous croire en l’Evangile mais ne pas prendre part au Corps de Christ ? Pouvons-nous confesser le Christ ressuscité mais rejeter les fruits de l’Esprit, amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi (Ga 5,22-23) ? Et ainsi de suite. La réponse est non. Il n’y est plus question de foi alors. Si la foi ne trouve pas reflet dans l’état intérieur de la personne, elle est morte.

Ainsi, nous devons dans notre vie rester vigilant à ne pas nous égarer dans un autre évangile que l’Evangile du Christ. D’une part sans la foi personnelle du cœur, aucun rituel ne nous ouvrira, en soi, le chemin du Royaume. D’autre part, une foi qui ne trouve pas manifestation dans la vie, une foi sans union réelle avec le Christ dans les saints mystères, sans le suivre selon ses commandements, n’est pas une foi, mais sont des paroles vides de sens sur la foi. Je crois que laisser à nous-même nous vaguerions souvent dans une et l’autre direction. Il est là ainsi la grande importance pour nous de vivre notre vie au sein d’une paroisse, de façon régulière et soutenue, pour participer aux Saints Mystères et avoir l’enseignement continu et répété de l’Evangile comme l’Eglise le dispense à travers les différents offices. La paroisse doit être pour nous un phare qui nous montre le chemin vers la Voie Royale.

Amen


[1] Ga 1,12

[2] Ga 3, 3

[3] Mt 5, 17-18

[4] Mt 22, 37-38

[5] Mt 5,13

[6] Monseigneur Athony Bloom, Etapes de la vie spirituelle, Editions des Syrtes, 2022, p.135-136