Chers frères et sœurs,

L’hymnographie de ce cinquième dimanche du Grand Carême est consacrée d’une part à la mémoire de sainte Marie l’Egyptienne, et d’autre part à l’Evangile de Lazare et du Mauvais Riche, Evangile que pourtant nous n’avons pas lu aujourd’hui. Nous avons ainsi un témoignage parmi d’autre de l’constitution progressive du Triode vers sa forme actuelle, qui date du quatorzième siècle. L’Evangile de Lazare était reprise comme lecture évangélique du 5ième dimanche dans l’évangéliaire de Jérusalem, évangéliaire du dixième siècle, ce qui aujourd’hui a laissé des ‘heureuses’ traces dans le Triode comme nous le connaissons aujourd’hui. La mémoire de sainte Marie l’Egyptienne, l’Evangile de Lazare et du Mauvais Riche, et l’Evangile de ce jour, indirectement, permettent de nous attarder un instant sur un élément essentiel de la vie chrétienne, de la vie en Christ : la sainte humilité.

Vous ne savez pas ce que vous demandez”, répond Jésus aux deux disciples qui demandent à être assis l’un à sa droite et l’autre à sa gauche dans sa gloire. Les deux disciples, certainement par enthousiasme, et non pas par mauvaise intention, ne savent pas ce qu’ils demandent, car leur demande laisse transparaître une recherche de gloire personnelle, qui part d’un sentiment d’orgueil, orgueil qui est considéré comme la première des passions et source de bien des maux. C’est l’orgueil qui a amené une partie des anges à être déchu, c’est ce même orgueil qui a mené à la séparation de l’homme avec son Créateur. L’orgueil empêche le repentir, car il donne lieu à l’esprit de justification de soi. Il forme ainsi un obstacle à la communion de l’homme avec Dieu, et in fine détruit l’homme lui-même. 

A l’orgueil le Christ oppose la sainte humilité. Ainsi, dit-il à ses disciples, le Fils de l’homme, n’a pas revêtu l’humanité pour être servi, mais pour servir. Il n’a pas revêtu l’humanité pour se glorifier, mais pour, en donnant sa vie, glorifier son Père et sauver les hommes. Ailleurs dans l’Evangile il dit : Quiconque s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé.

La vie de sainte Marie l’Egyptienne est un témoignage vivant d’un tropaire que nous avions chanté en début de Triode, pendant le dimanche du Pharisien et du Publicain, tropaire que je cite : « Du fumier des passions l’humble s’élève, mais du faîte des vertus retombe tout cœur présomptueux : de ce vice fuyons donc le penchant. » (Ode 3, 1ier Tropaire). En fuyant toute justification de sa vie de pécheresse, s’humiliant jusqu’à se retirer ignorée de tous dans le désert, sainte Marie l’Egyptienne finit après un long combat à inscrire l’image de Dieu en son âme, et marcher, à la suite du Christ d’un pas léger sur les eaux.  (3ième tropaire du Lucernaire).

Saint Zosime, celui qui rencontra sainte Marie l’Egyptienne, porte témoignage des deux mouvements de ce même tropaire. Après une vie vertueuse, une pensée orgueilleuse le fait chuter terriblement : « Y a-t-il au monde un moine susceptible de m’être utile et de m’apprendre quelque chose de nouveau, un exercice ascétique que je ne connaisse pas et que je n’aie déjà accompli ? Se trouvera-t-il parmi les sages du désert un homme qui me soit supérieur par sa vie et ses méditations ? »  Ensuite, par grâce de Dieu et ses rencontres avec sainte Marie L’Egyptienne, saint Zosime retrouvera l’humilié et la voie du repentir et de la sainteté.

Lazare et le mauvais riche illustre un autre tropaire que nous avons chanté aux Matines du Pharisien et Publicain : « En faisant l’important on se vide de tout bien, tandis que l’humilité nous purifie de tout mal : fidèles, embrassons-la et clairement de la vaine gloire méprisons les fumées. » (Ode 1, 3ième Tropaire). Le riche s’enorgueillit dans sa richesse. Il oublie Dieu, il oublie son prochain, celui qui se trouve à deux pas de lui, à la porte de sa maison. En s’estimant important, il se vide ainsi de tout bien, le seul bien étant la connaissance de Dieu. La réponse d’Abraham à la demande du mauvais riche pour envoyer Lazare d’entre les morts avertir ses frères, montre bien la force destructrice de l’orgueil et ses rejetons : si par orgueil ils sont incapables de comprendre Moïse et les prophètes, ils seront également incapables de reconnaître celui qui reviendra de parmi les morts.

Ainsi, si nous voulons connaître en Jésus, le Christ, le Fils de Dieu, si nous voulons greffer notre vie sur la sienne, si nous voulons avoir part au Royaume de Cieux, nous devons mener le combat de l’humilité, et l’utiliser, pour citer saint Jean Climaque, comme une échelle vers le ciel.

Amen