Par l’archiprêtre Dr. Georgios Lekkas.

Petit commentaire sur l‘Épître aux Romains.

La sortie du Paradis a conduit à l’emprisonnement de l’homme, à son isolement dans son propre soi. Notre soi, créé comme lieu de rencontre avec le Dieu trinitaire, est ainsi devenu notre prison. L’homme s’est renfermé sur lui-même et cela a été sa condamnation. Par sa désobéissance au Paradis, il est devenu le bourreau et la victime de lui-même. La division spirituelle s’est désormais installée en lui comme le mode d’existence prédominant de l’homme déchu. La fermeture en lui est désormais la voie douloureuse de la pédagogie de lui-même qu’il s’est choisie. La sortie du Paradis a donc fait passer l’homme des bras de Dieu aux mains de lui-même. L’homme devait être gouverné au Paradis par l’amour tendre de Dieu, mais il a choisi d’être violemment entraîné par lui-même.

Mais la pédagogie de l’homme par lui-même, comme la pédagogie du Peuple de Dieu par la loi mosaïque, n’était pas suffisante pour le salut de l’homme. Le rétablissement de la relation de l’homme avec Dieu exigeait la recréation de l’homme par l’intermédiaire de l’Homme-Dieu Jésus-Christ. C’est Lui la « rédemption » de l’homme (Rom., 3, 24), car c’est par Lui que l’homme a été rendu tel que Dieu voulait qu’il soit lorsqu’il l’a créé. L’Homme-Dieu est l’homme parfait. Désormais, grâce à l’Homme-Dieu Jésus, chacun de nous peut réaliser le but existentiel de la communion avec Dieu pour lequel il est venu en ce monde. La communion avec Dieu est désormais possible pour chaque être humain à une seule condition : L’ouverture de l’homme à l’Homme-Dieu qu’est le Christ. Cette ouverture c’est la foi [« l’homme est justifié par la foi », Rom., 3, 28].

Le Christ a sauvé l’homme, selon l’Apôtre, « gratuitement » et non pour ses œuvres, car aucune des œuvres de l’homme ne pouvait sauver l’homme de sa division spirituelle constitutive. Sans le Christ, même les prétendues « vertus » de l’homme sont au service de sa division et alimentent sa chute. Même ses œuvres les plus « vertueuses », au lieu de le rapprocher de Dieu, l’éloignaient encore plus de Lui car, depuis la Chute, même ses « vertus » ont perpétué l’illusion de son autonomie. Le Christ a donc sauvé l’homme gratuitement, car aucune œuvre de l’homme ne pouvait sauver l’homme s’il n’avait pas été auparavant assumé ontologiquement, et pour une deuxième fois, par Dieu lui-même. En étant de nouveau assumé ontologiquement par Dieu, l’homme peut désormais devenir le partenaire de Dieu dans l’œuvre de son salut, d’abord par sa foi en Celui qui l’a sauvé de la malédiction de son autonomie, et ensuite par sa collaboration avec Dieu dans l’accomplissement des œuvres de foi. Désormais, celui qui croit en Dieu le Père par le Seigneur Jésus-Christ dans l’Esprit Saint (Rom., 4, 24-25) est ouvert à la communion avec Dieu et est désormais capable d’œuvres dictées par la puissance divine et l’amour divin.

Si l’on devait résumer les étapes spirituelles de l’homme, selon l’Apôtre, depuis la Chute jusqu’à nos jours, elles seraient les suivantes : 1. la communion primitive entre Dieu et l’homme avant la chute de l’homme ; 2. le péché comme condition universelle après la chute de l’homme ; 3. la Loi (pour les Juifs) et la conscience humaine (pour tous les hommes), par lesquelles la prise de conscience du péché a été rendue possible ; 4. la rédemption de l’homme par le Christ, et 5. l’amélioration de la communion entre Dieu et l’homme pour chaque croyant qui par l’Esprit Saint a la foi en l’Homme-Dieu Jésus-Christ au sein de la nouvelle création qu’est son Église (cf. Rom, 5, 12-21).

Le péché, selon Saint Paul, constitue une fonction psychique autonome que l’homme ne peut pas contrôler consciemment parce qu’il agit sous forme de névrose (Rom., 7, 15). Même la conscience de la situation pécheresse dans laquelle nous nous sommes retrouvés à la suite de la Chute ne pourrait jamais nous en sauver. Au contraire elle est réduite à nous condamner à la mort, ce qui est exactement ce que la Loi a fait depuis qu’elle a été donnée aux Juifs par l’intermédiaire de Moïse. (Rom., 7, 9-10).

Mais ce que l’homme ne pouvait pas faire, c’est-à-dire briser le triangle vicieux péché-conscience de soi-mort, a été accompli par l’Homme-Dieu, qui « avec une chair semblable a celle du péché » a « condamné le péché dans la chair » (Rom., 8, 3). Ainsi, paradoxalement, affirme l’Apôtre, la Loi est venue et le péché a été ravivé, et il a fallu que le Fils de Dieu vienne pour que la Loi soit ravivée et ne puisse plus fonctionner comme un instrument destiné à condamner, mais comme un moyen important de salut (« afin que le précepte de la Loi fut accompli en nous dont la conduite n’obéit pas à la chair mais à l’esprit » Rom., 8, 4).

Une fois que l’Homme-Dieu a brisé le cercle vicieux du péché comme condition ontologique, les hommes n’ont plus, selon l’Apôtre, qu’à croire au Christ, à être baptisés et à recevoir l’Esprit Saint pour devenir « enfants de Dieu » et « cohéritiers du Christ » qui seront glorifiés avec lui s’ils lui restent fidèles jusqu’à la mort et dans leurs difficultés (Rom., 8, 16-17).

Ainsi, le Nouvel Adam nous a été bénéfique, selon l’Apôtre, infiniment plus que le premier Adam ne nous a été nuisible. La raison en est que le premier homme qui nous a fait du mal n’était qu’un homme, alors que le second Adam, qui nous a fait du bien, était l’Homme-Dieu. (« Si, en effet, par la faute d’un seul, la mort a régné du fait de ce seul homme, combien plus ceux qui reçoivent avec profusion la grâce et le don de la justice régneront-ils dans la vie par le seul Jésus-Christ ». Rom., 5, 17).

Mais si la réconciliation avec Dieu est désormais accessible à tous les hommes grâce au sacrifice de l’Homme-Dieu Jésus, le salut est le don que Dieu réserve uniquement à ceux qui croiront en son Fils (Rom., 5, 10 : « Si, étant ennemis, nous fûmes réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, combien plus, une fois réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie »).

La foi dont parle Paul n’est pas le résultat d’une croyance qui nous est imposée de manière dialectique, mais le résultat de l’ouverture de notre cœur au Miracle qu’est Dieu lui-même. Il nous accorde une parole (=confession) de foi au moment où nous lui permettons de rencontrer notre cœur confiant (=non verrouillé. Voir Rom., 10, 9-10). En effet, la parole qui nous est accordée dans ce cas, et en particulier sa qualité, dépend du degré d’ouverture de notre cœur à Dieu et à ses œuvres. D’où l’insistance de Paul sur le fait que l’incrédulité est le produit d’un cœur dur, alors que la foi, au contraire, est le produit d’un cœur doux et innocent comme celui d’un enfant.

L’homme n’a pas été créé avec un cœur dur. L’existence humaine a par nature tendance à se transcender, car l’homme a été fait pour ne pas vivre seul, mais pour être un avec le Seigneur, qu’il vive ou qu’il meure. C’est pourquoi le Christ est mort et ressuscité, nous rappelle l’Apôtre, pour les gagner tous, vivants et morts. (Rom, 14, 7-9).

La dureté de cœur est le résultat du retournement maladif de l’homme sur lui-même, qui s’est produit tout d’abord avec la Chute, et qui est depuis lors une structure constitutive de son âme (Rom., 11, 25 : « de peur que vous ne vous complaisiez en votre sagesse ». Voir aussi, ibid., 12, 16), Comme la dureté du cœur constitue la condition existentielle dominante de l’homme dans le monde après la Chute, il a besoin de l’intervention de la grâce divine pour l’adoucissement de son cœur et l’octroi de la foi (Rom, 11, 5-7).

Le moyen habituel pour un homme de retrouver son cœur est le chagrin. Le cœur compatissant de Dieu s’afflige certes de nos afflictions, et d’une manière qu’aucun être humain ne pourrait souffrir, mais Il ne les permet que pour que nos cœurs s’adoucissent et que notre foi en lui lui accorde le droit de nous sauver.

Contrairement à la foi, qui présuppose un cœur tendre, l’incrédulité provient d’une dureté de cœur accompagnée d’une fermeture d’esprit à l’égard de la « justice de Dieu », c’est-à-dire du plan divin pour le salut de l’homme. C’est le cas, selon Saint Paul, des Juifs qui n’ont pas cru au Christ. Au lieu de reconnaître dans la personne du Christ le plan de Dieu pour le salut de l’homme et du monde, ils ont renié le Christ par dureté de cœur et ont inventé leur propre plan de salut qu’ils ont attribué à Dieu uniquement pour le rendre crédible (Rom., 10, 3-4).

Mais les Disciples du Christ ont réussi là où la majorité des Juifs ont échoué : Leur foi en Christ leur a permis de désigner l’Ancien Testament comme précurseur du Christ, comme, un peu plus tard, la foi des écrivains chrétiens alexandrins et des Pères cappadociens leur a permis, par opposition à l’incrédulité prédominante de leurs contemporains, de démontrer que la philosophie grecque était le deuxième précurseur le plus important du Christ après l’Ancien Testament.

La dureté de cœur n’est cependant pas une caractéristique exclusive des Juifs incrédules. La dureté de cœur est la cause principale, selon Saint Paul, des hérésies et des scandales dans l’Église, lorsque des personnes souffrant d’une attitude fermée à l’égard du Christ, au lieu de servir le Christ, travaillent exclusivement pour elles-mêmes (Rom., 16, 17-18). Par conséquent, quiconque ne verse pas de grandes larmes et n’agit pas en vue de l’unité de tous, comme le voulait le Christ, n’est pas un chrétien, et même un chrétien orthodoxe. L’amour pour tous auquel le Christ nous appelle n’est pas le plaisir voluptueux d’un cœur aimant, mais une condition nécessaire à l’unité du culte commun dans lequel on est placé dès maintenant dans les Derniers Temps (« afin que d’un même cœur et d’une même bouche vous glorifiez le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ », Rom., 15, 6). L’amour doit donc avoir pour fin l’unité spirituelle et n’est spirituellement appréciable qu’en tant que son fruit.

Et si les Juifs qui vivaient sous la Loi sont réprouvés par Paul parce que, tout en ayant la connaissance du bien, ils faisaient le mal (Rom., 2, 17-24), combien notre position est pire et combien « le nom de Dieu est blasphémé dans les nations » (ibid, 24) à cause de nous, quand, tout en connaissant le Christ et sa Parole, nous ne lui restons pas fidèles et persistons à faire le mal par dureté de cœur.

L’Apôtre a écrit son épître à des personnes qui ont connu et cru en Christ à l’âge adulte, qui sont mortes au péché et qui ont été ressuscitées comme une nouvelle création par leur baptême. Il les invite donc à rester fidèles à la sanctification qu’ils ont reçue dans leur baptême afin d’avoir droit, eux aussi, à la « vie éternelle », c’est-à-dire à leur salut. En effet, dès notre baptême, notre existence devient soit une « arme de justice » pour l’acquisition définitive de la « vie éternelle » en restant fidèle au Christ soit une « arme d’injustice » au service de la renaissance du péché condamné par le sacrifice du Christ lorsque nous le renions par nos actes.

Et il est certainement compréhensible, pour l’Apôtre, de pécher alors que l’on vivait encore dans l’état de péché avant d’être baptisé, mais il est incompréhensible et tragique que ceux qui, par le Saint Baptême, ont connu la grâce de Dieu et vivent sous son empire, commettent à nouveau des péchés. En effet, si l’avènement de la Loi a rendu la commission du péché encore plus grave qu’elle ne l’était avant le don de la Loi, la commission du péché est encore plus grave après l’avènement de la grâce par le Saint Baptême. Commettre des péchés après le baptême devient donc pour le baptisé une cause de mort beaucoup plus grande qu’elle ne l’était avant son baptême, de même que le repentir du baptisé après avoir commis de nouveaux péchés devient une cause de bénédiction beaucoup plus grande que ne l’était l’abstinence de péchés avant le baptême (Rom., 6, 15-22).

L’ouverture du cœur qui croit vraiment au Christ Homme-Dieu conduit nécessairement à l’amour de tous, puisque par le Christ chacun de nous est membre de tous (Rom., 13, 9-14). L’ancien commandement « aime ton prochain comme toi-même » a été ontologiquement confirmé par le Christ, puisque le Christ, par son Incarnation, son Sacrifice, sa Résurrection et surtout par son Église, a fait de chacun de nous un membre de tous les autres (Rom., 12, 4-5).

Il est donc impossible, selon Saint Paul, d’aimer vraiment le Christ et de ne pas aimer tout le monde, tout comme il est impossible d’aimer vraiment tout le monde et de ne pas aimer le Christ. La foi devient ainsi, d’après lui, un critère suprême d’orthopraxie, selon lequel le péché est tout ce qui n’est pas fait par vraie foi en Christ et par l’amour pour tous que seule la vraie foi inspire (Rom., 14, 23 : « et tout ce qui ne procède pas de la bonne foi est péché »).

Il y a des degrés de foi (Rom., 1, 16-17), ainsi que des degrés d’incrédulité. En effet, la dureté du cœur provoque l’incrédulité, l’incrédulité provoque la fermeture sur soi, la fermeture sur soi provoque les passions, et les passions provoquent la mort spirituelle (Rom., 1, 25-32).

De même, l’ouverture de nos cœurs nous conduit à la foi en l’Homme-Dieu Jésus-Christ, notre foi en Lui nous donne la patience dans nos afflictions, notre patience dans les afflictions nous donne l’expérience du Dieu vivant qui se tient à nos côtés dans nos afflictions, l’expérience du soutien de Dieu dans nos afflictions renforce notre espérance en Lui, et cette espérance est encore renforcée par le débordement de l’amour de Dieu dans nos cœurs, ce qui rend notre foi en Lui encore plus forte (Rom., 5, 2-5).

L’Apôtre rapporte les résultats négatifs de l’incrédulité d’un cœur dur aussi soigneusement que les résultats positifs de la foi d’un cœur bon. L’incrédulité, dit-il, a pour conséquence la réalisation du mal et, à son tour, le chagrin et la douleur de celui qui le commet (Rom., 2, 9). La foi, par contre, aboutit à l’accomplissement du bien et celui-ci, à son tour, apporte la paix à celui qui l’accomplit, mais aussi la gloire et l’honneur réservés par Dieu (Rom., 2, 10).

La joie, l’espérance et la paix sont des dons du Père, par l’Esprit Saint, à celui qui croit, c’est-à-dire à celui qui a ouvert son cœur au Christ (Rom., 15, 13), ainsi que tous les charismes, tels que la prophétie, le pastorat, la prière, l’enseignement et la charité, sont accordés par Dieu « en proportion de la foi » et pour le progrès de l’Église (Rom., 12, 3-15).

Catéchèse pour des adultes, 10.12.23